Les jardins ouvriers
Les jardins ouvriers du puits Couriot d’hier à nos jours
1) Les jardins ouvriers dans le contexte charbonnier…une longue histoire originale :
Dans l’industrie charbonnière les compagnies minières avaient dès le début du 19ème siècle développé une stratégie sociale en associant aux logements des corons une parcelle de terrains permettant la culture de légumes et de fruits et donnant ainsi aux mineurs une occupation saine et profitable ….mais aussi « pour les éloigner des cafés et cercles collectifs où pouvaient s’organiser les mouvements sociaux » ! Par la suite dès la première moitié du 20ème siècle dans les zones minières urbaines (dans le Bassin stéphanois par exemple) le logement des mineurs s’est orienté vers des immeubles collectifs qui ne permettaient pas de fournir un terrain au pied du logement de chaque mineur pour y cultiver un jardin. D’où la création d’une œuvre sociale nouvelle consistant à mettre à disposition des mineurs logés en habitat collectif des îlots de terrains agricoles, dont les compagnies minières disposaient car les ayant acquis pour diminuer le paiement des tréfonds , sur lesquels étaient attribués gratuitement l’usage de parcelles de jardins collectifs afin d’y pratiquer exclusivement la culture d’un jardin familial. Ces jardins étaient alors administrés directement par la compagnie par l’intermédiaire d’un ingénieur du siège de l’exploitation la plus proche assisté d’un gouverneur chargé de faire respecter l’autorité de la compagnie dans les mêmes conditions qu’à la mine ! L’entretien général (clôtures, voies d’accès …) était entièrement assuré par la compagnie par l’intermédiaire de ses moyens propres en personnel et en utilisant les fournitures habituelles de la mine. Cette situation a perduré après la nationalisation de 1946, les exploitations des HOUILLERES du BASSIN de la LOIRE se substituant aux compagnies. Ce n’est que dans les années 1950 que la gestion des jardins ouvriers miniers a évolué progressivement vers la formule associative régie par la loi de 1901 telle que nous la connaissons aujourd’hui. Ainsi des groupements associatifs de jardins du personnel des Houillères se sont constitués autour des pôles d’exploitation minière à :
- La Varenne (Roche la Molière, Beaulieu, Firminy, Le Chambon Feugerolles,St Genest Lerpt )
- Montranbert La Béraudière (Le Chambon Feugerolles, La Ricamarie)
- La Chazotte (Sorbiers, La Talaudière, St Jean Bonnefonds)
- Couriot (St Etienne, St Genest Lerpt )
Ces groupements ont été longtemps administrés comme auparavant, un ingénieur du siège de l’exploitation assurant la Présidence secondé au bureau de l’association par un gouverneur vice président et quelques agents de maîtrise et employés pour les tâches de gestion. La fermeture de l’exploitation du fond des Houillères de la Loire en 1983 a eu pour conséquence une baisse continue des jardiniers mineurs et leur remplacement progressif par d’autres jardiniers extérieurs à la profession minière. Les quatre groupements ont subsisté par delà la fin de l’entreprise qui les avait générés mais seul le groupement de Couriot est encore présidé par un ancien ingénieur des Houillères !
2) Le Groupement des jardins du personnel des houillères (…et membres associés *) Exploitation Couriot
C’est sous cette dénomination (*complétée en 2000 par la mention des membres associés pour régulariser les membres non mineurs) que fut créée l’Association des jardiniers mineurs du puits Couriot dans les années 50 (les premiers statuts officiels déposés un peu plus tard en Préfecture datent de 1961 ). Les Présidents Ganier ,Chabrol , Bayon, Serbini , Teil puis Béal actuellement se sont ainsi succédés à la tête du groupement et ont contribué à sa pérennité et à son adaptation progressive. Au cours d’un entretien Jean TEIL, ancien gouverneur des houillères et ancien président du groupement, évoquait cette époque des années 1960 : « Il y avait des jardins ouvriers partout autour du puits Couriot et le groupement rassemblait plus de 1500 mineurs jardiniers ! La mine mettait le terrain à disposition et les mineurs choisissaient leurs parcelles Pour eux le jardin était très important car en plus d’être un loisir et une détente après les rudes travaux du fond il apportait à leur foyer un complément en légumes et fruits très apprécié de leur épouse. Le gouverneur était là pour régler les problèmes de discipline et faire respecter le règlement ; judicieusement choisi pour son autorité à la mine ses décisions étaient respectées .Il était aussi chargé de définir les travaux d’entretien général qui seraient assurés par la mine. Au sein du bureau du Groupement des employés étaient désignés pour la gestion et la partie administrative.»
Au fil des ans, marqués par la récession puis la fin de l’exploitation charbonnière et l’extension de l’urbanisation, d’importantes évolutions se sont produites : -Diminution du nombre de jardiniers mineurs -Leur remplacement par des jardiniers extérieurs à la profession minière, souvent issus de l’immigration -Diminution du nombre de jardins pour faire place à des constructions ou à des voies publiques – Amélioration des îlots de jardins par des restructurations et l’installation d’abris de jardins homogènes et plus esthétiques – Implication de la ville de St Etienne qui a acquis des parcelles et rénové des îlots de jardins puis les a mis à disposition du groupement -Acquisition de certains îlots de jardins par le groupement lui même et politique constante d’amélioration de leur état.
3) Le groupement des jardins de Couriot en 2014
Première constatation ce groupement professionnel existe toujours ! Quarante et un ans après la fermeture du puits Couriot suivie de sa transformation en musée de la mine il est certainement la seule structure, issue de cette mine, encore en activité ! Il est membre depuis de nombreuses années de la Fédération des Associations des jardins familiaux de la Loire, son effectif de jardiniers étant le plus important parmi les associations constituant la fédération. Le Groupement gère 500 jardins répartis en 18 sections situées sur la partie ouest de St Etienne de part et d’autre de Couriot et compte, au 1er janvier 2014, 400 jardiniers membres de l’association (certains cultivent deux jardins), ce chiffre est stable depuis plus de 10 ans voire en légère hausse après des décennies de baisse. Parmi les jardiniers les anciens mineurs représentent encore environ 10% des effectifs. Ces jardins couvrent une surface de 10 hectares et sont situés : – pour deux tiers sur des terrains mis à disposition par la ville de St Etienne après leur rachat aux Houillères. – et pour un tiers enfin sur des terrains appartenant au Groupement lui même (acquis en 1994 et 2000 aux HBCM) Plus de la moitié de ces jardins a été restructurée et est conforme aux normes requises actuellement, alors que l’autre partie est constituée de jardins avec des abris de type ‘favellas’ qui ne sont pas sans poser des problèmes au niveau environnemental et sont une préoccupation pour les responsables. Pratiquement tous les jardins du groupement Couriot sont équipés d’une adduction d’eau et de compteurs individuels permettant une culture potagère ou florale quelles que soient les conditions météorologiques. Les restructurations lourdes seront poursuivies à long terme en collaboration avec la ville de St Etienne et le Conseil Général de la Loire qui conduisent une politique volontariste de soutien à cette activité de jardinage familial et fournissent des aides substantielles. Cependant le coût de ces restructurations est élevé et nécessite un étalement dans le temps, l’association n’étant pas en mesure de conduire seule ces travaux compte tenu de ses ressources D’autre part l’accent est mis sur le développement durable en promouvant les économies d’eau (installation de compteurs individuels pour chaque jardin et de récupérateurs d’eau de pluie) et la réduction des déchets verts par la fourniture de composteurs individuels, ainsi que l’objectif d’abandonner les traitements utilisant des pesticides. Chaque année le Groupement organise un concours de jardins visant à créer une émulation entre les jardiniers .Il est doté de prix en bons d’achat récompensant les 20 meilleurs jardins évalués par un jury. 4) conclusions Le Groupement des jardins de Couriot poursuit le rôle social qui est le sien depuis l’époque charbonnière, à savoir offrir le loisir sain et utile économiquement du jardinage à ses membres parmi lesquels se trouvent encore quelques anciens mineurs des Houillères de la Loire. A ce titre il contribue à l’animation associative de la ville de St Etienne et participe à la politique d’intégration par les contacts qui s’établissent entre jardiniers d’origines diverses lors de la pratique du jardinage familial. Ces jardins leur permettent de retrouver le contact avec la nature et de s’évader, souvent en famille, de leur habitat des cités collectives. Ainsi, aux deux sens du mot se produit-il des rencontres et des échanges entre plusieurs ‘cultures’ qui sont bien sûr reflétées par les différentes plantations potagères ou florales présentes dans les jardins mais aussi par les contacts établis entre les hommes et les femmes autour de l’activité du jardinage qu’ils partagent.
Michel BEAL – Novembre 2014